Passion, challenges – et futur radieux ?

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This interview* is also available in English. 

Peu après l’occasion des 40 ans de la Fondation au Mali, nous avons interviewé notre Directeur malien, Salif Kante. Mali était notre premier pays d'opération. La Fondation y est toujours restée et ce malgré les risques sécuritaires. Salif nous raconte ses débuts dans l’agriculture et à la Fondation ainsi que sa journée typique, les défis auxquels il fait face, et ses cibles d'ici 2030.


Fondation Syngenta : Tu travailles pour la Fondation depuis 2006. Comment est-ce que tu y es arrivé ?

Salif Kante : Excellente question ! J’ai d’abord fait mes études, jusqu’au doctorat, j’ai beaucoup appris et beaucoup voyagé et j’ai été chercheur dans la plus grande équipe de production agricole de l’Institut d’Economie Rurale (IER) durant 15 ans. Ensuite une de mes connaissances a vu l’appel à candidature de la Fondation Syngenta et m’a dit que je serais parfait pour ce travail et que je devrais postuler. J’ai passé toutes les étapes du processus de sélection (sélection sur dossier, interview, atelier de planification et de validation du projet) et me voilà !

Quels étaient depuis ton arrivée les plus grands changements dans le travail de la Fondation… ? 

Il y a eu énormément de changements ! On est beaucoup plus en contact avec nos collègues à l’international et ce grâce à l’évolution de la technologie. De plus, la restructuration de la Fondation, les multiples initiatives ayant abouti à la stratégie 2021-2025 de la Fondation ont apporté leur lot de changements. Avant 2006, peu de pays faisaient partie de la Fondation mais depuis, beaucoup se sont rajoutés et chaque pays a une direction qui est fortement impliquée et informée sur les prises de décision.

…et dans l’environnement « mental » international dans le développement agricole ?

La manière de travailler a aussi beaucoup évolué de ce côté-là. Dans le temps, prédominait l’idée de projet avec des subventions. Maintenant, les partenaires du projet doivent tous s’impliquer et prendre une part du risque (les banques, les producteurs, etc,…). Et évidemment, avec la covid 19, l’informatique s’est récemment beaucoup développée ! Nous faisons à présent des visites virtuelles aux agriculteurs, des formations en ligne, etc., c’est un sacré changement.

Si tu penses à ces 16 années chez nous, est-ce que tu as un moment fort en particulier que tu aimerais partager ? 

Je choisirais sans hésiter l’une des activités du projet sur lequel j’ai travaillé. C’était une activité qui visait à aider les femmes à gagner de l’argent pour subvenir aux besoins de leur foyer et les aider à épargner. Nous avons commencé avec 10 associations de femmes. Nous avons appris certaines à écrire et ensuite à gérer de l’argent. Au début du projet, nous avons donné un fonds de roulement de 1 500 000 CFA (~ 2300 Euros) aux 10 associations. Après 18 mois d’activités, elles avaient généré un peu plus de 9 500 000 CFA (~ €14500)!

Le fonds de roulement a été retiré et remis à 10 autres associations de femmes afin de continuer le projet et de donner cette opportunité à plus de monde. Au bout de 4 ou 5 ans, plus de 3 000 femmes ont mené des activités génératrices de revenus et certaines femmes ont créé des marchés locaux. Certaines associations avaient des surliquidités et nous avons avec elles mis en place une mutuelle de caisses gérée par les femmes pour redistribuer cet argent. Cette mutuelle (ouverte aux hommes également) permet à d’autres personnes de se développer et d’obtenir des fonds.

Et un moment moins plaisant également ?

Un tel moment est plus difficile à trouver. Mais je dirais que ça remonte aussi au début de ma carrière à la Fondation. Nous avions comme projet la création de parcs vaccinaux pour les animaux (bœufs, vaches, etc.). Et pour la construction d’un parc, le village d’implémentation devait payer 10% du coût tandis que la Fondation s’occupait du reste. La construction a donc débuté dans les grands villages qui souhaitaient un parc vaccinal et pouvaient le financer. Cependant, au bout du compte, un village qui avait largement les moyens n’a pas payer sa contribution à cause de la non-transparence de certains responsables dudit village. Là, j’ai été particulièrement déçu. 

Au début de ta carrière : pourquoi est-ce que tu as choisi le domaine de l’agriculture – et pourquoi y es-tu resté si longtemps ?

Etant fils de commerçant, j’avais plus de chance d’évoluer dans le commerce que dans l’agriculture, mais je savais depuis toujours que je voulais faire un métier qui me permettrait d’aider les gens. Quand j’étais au lycée, j’hésitais entre la médecine et l’agriculture : je voulais soit soigner les gens, soit les aider à bien produire. J’ai finalement choisi l’agriculture et j’ai su par la suite que c’était le bon choix et en plus j’adorais et j’adore toujours ce travail. À mes débuts, j’ai fait un peu d’élevage et j’ai même dormi avec mes poussins, c’est dire ! Je suis passionné par ce milieu, c’est ce qui compte le plus quand on choisit un métier. Et c’est pour ça que j’y suis resté aussi longtemps.
Je pense que même une fois à la retraite je continuerai à cultiver mon petit jardin et à élever des animaux.

Quel conseil donnerais-tu a un/e jeune qui veut se lancer dans l’agriculture aujourd’hui ?

Le meilleur conseil qu’on puisse donner à un jeune est sans nul doute de choisir un métier qu’il ou elle aime. C’est le plus important dans la vie. Ça permet d’être motivé et de le rester, de supporter les jours difficiles et d’avoir un but. Il faut vraiment aimer ce qu’on fait, être persévérant pour être bon. Donc si un jeune voulait se lancer dans l’agriculture aujourd’hui, je lui conseillerais d’être passionné, persévérant et il aura beaucoup de chance de réussir.

Comment décrirais-tu les tâches et missions principales que tu as en ce moment ?  

Je dirais qu’il y a une partie conception, afin d’appuyer la création des projets par l’équipe, une partie orientation, qui vise à impulser la dynamique, une partie coordination afin de coordonner les programmes et les personnes et enfin, mais non pas des moindres, une partie de contrôle de conformité. Je vérifie que tous les projets, contrats, etc., soient conformes d’un point de vue financier, éthique, juridique et qu’ils s’inscrivent bien dans l’esprit de la Fondation tout en respectant les lois du pays. Et bien sûr, une autre mission très importante que je remplis est de tout faire pour sauvegarder et renforcer l’image et la crédibilité de la Fondation ici, au Mali. La mission que je préfère ? Encadrer les jeunes et les aider à canaliser leur ambition pour atteindre leurs objectifs et continuer de développer la Fondation. 

A quoi ressemble une journée typique dans ta vie ? (S’il y en a !)

J’arrive au bureau avant 8 heures, sauf les jours où je suis en mission. Je commence toujours ma journée par un tour des bureaux afin de saluer tout le monde et prendre des nouvelles de leur vie, de leur famille et de leur travail. En tant que chef, je trouve ça vraiment important de créer un lien avec toute l’équipe et de montrer que je suis là pour eux. J’en profite également pour voir qui est là et qui ne l’est pas ! Je continue ensuite avec la lecture des mails que j’ai reçus puis je m’attelle au planning des activités ainsi qu’à la lecture et la correction des contrats ou autres documents. Je réponds également à toutes les demandes de l’équipe, des collaborateurs, des agriculteurs, etc. Mon travail de chef consiste un peu à être là pour satisfaire tout le monde ! Ma journée se termine généralement entre 18 et 19 heures.

Quelle est la partie de ton travail que tu préfères ? Et les tâches de chef que tu n’aimes pas ?

J’aime beaucoup aller sur le terrain à la rencontre des gens, lire les documentations techniques ; on en apprend beaucoup ! Ce que j’apprécie le moins dans le travail de chef est le fait d’être la figure d’autorité et de devoir recadrer, voire sanctionner les gens. 

De quelle manière le covid a-t-il impacté le travail des agriculteurs au Mali ?

Il y a eu une grosse limitation de l’accès aux engrais dû à la fermeture des frontières, cela a eu un impact très négatif pour nous. Il y a eu une baisse de rendement et donc une augmentation des prix. De plus, pendant un certain temps, les attroupements ont été limités, les visites inter-paysannes ont été annulées ; il y avait donc beaucoup moins d’échanges et de possibilités de « networking ».

Néanmoins, le covid n’est pas le plus gros souci que nous avons en ce moment… Le plus gros problème pour nous est l’insécurité. Les agriculteurs n’osent plus aller travailler dans leur champ car ils craignent d’être attaqués, et si cela continue, nous allons avoir une famine au Mali. Car si personne ne travaille aux champs, on n’aura plus à manger.

Comment est-ce que la Fondation et ses partenaires ont réagi au covid ?

Très bien ! La Fondation a payé pour le personnel et les partenaires des kits de lavage de mains avec du gel alcoolique, du savon, des masques, etc. On a mis plus d’accent sur les échanges téléphoniques, les emails, l’exploitation des réseaux sociaux et vidéo afin d’éviter tout contact inutile et on a eu une vraie flexibilité pour le travail au bureau ou à la maison.

Comment est-ce que tu vois le travail de la Fondation au Mali d’ici 2030 ?

Je suis vraiment très optimiste ! L’équipe est jeune et très motivée. De nouveaux projets sont en train de voir le jour. De plus, l’Etat malien est en phase avec la Fondation, nous voulons les mêmes choses, c’est très positif. Et il faut relever également que les Centres d’Exploitation de Machines Agricoles (CEMA) sont des modèles pionniers en termes d’approche et nous travaillons avec l’Etat du Mali pour la promotion des CEMA ou CRP (Centres Ruraux de Prestation de services agricoles). Je pense que d’ici 2030 on pourra toucher beaucoup plus de monde et viser le milliard de CFA pour la vente de produits !

Qu’est-ce que la Suisse – ou l’Europe – peut apprendre du Mali ?

Une chose que j’aime beaucoup au Mali et qui je pense, mérite d’être partagée avec l’Europe est notre riche culture (Tombouctou, Djenné, la charte du Mandé/de Kourougan-fouga, la vie et les coutumes sur les falaises de Badiangara, etc.). Au Mali, les manuscrits, autres documents et archives, sont consultables. On a vraiment une riche culture. C’est très appréciable. 

De plus, la gestion des personnes âgées est très différente et je trouve que celle du Mali gagnerait à être étendue en Europe. Ici, les familles sont beaucoup plus proches et prennent vraiment soin des personnes âgées. Elles ne sont pas placées en maison de retraite ou autre. La personne âgée est entourée par ses enfants, ses petits-enfants, bref tous les enfants du village. 

Dans un domaine plus personnel, quel est ton plat malien préféré ? Et qu’est-ce que tu aimes faire en-dehors du travail ? 

C’est simple : j’aime beaucoup de plats en sauce, surtout ceux avec de la pâte d’arachide au gombo !  En dehors du travail, j’aime beaucoup me promener dans la nature, visiter et travailler dans les champs, m’occuper des animaux, etc.


*Nous tenons à remercier Anne Sippel, stagiaire de communication chez Syngenta. Elle a créé toutes les deux versions de cet entretien pour notre Fondation. I ni ce kosɛbɛ!